Olivier d’Herbemont
“Il faut un choc managerial à la France”

Olivier d’Herbemont préside Belle Aventure, un réseau d’accompagnement vers l’agilité durable. Sa mission : donner aux acteurs et aux organisations l’accès aux outils et aux méthodes du fonctionnement en chaîne de valeur agile. Il développe depuis sept ans maintenant les principes de l’architecture collaborative des organisations avec une équipe d’intervenants passionnés.

Entretien réalisé par Sabine Renault-Sablonière

 

Comment voyez-vous l’évolution du management, dans les 10 années à venir ?

Il y a une révolution managériale en cours au niveau mondial : c’est l’émergence du fonctionnement en chaîne de valeur agile, le FCVA. Ce nouveau mode de management répond aux nécessités d’un environnement devenant de plus en plus chaotique. Fini les stratégies long terme et les choses stables et sûres : tout change tout le temps, les clients, les produits, les marchés. Face à cela le management prend un rôle central : apprendre à ne plus craindre ce chaos, au contraire en tirer parti, alors que les salariés et les banques demandent toujours plus de garanties et moins de risques. En matière d’agilité, la France est en retard, très en retard. Il faut que les managers réapprennent à enchanter leurs salariés, leurs partenaires, leurs fournisseurs et sans doute leurs clients. Face à l’émergence de la finance, c’est-à-dire au mur du réel, il faut un choc managérial spécifique à la France. Notre culture dont nous sommes si fiers est en réalité notre dette. Il faut arrêter de se plaindre de nos troupes et susciter au sein des entreprises françaises, une capacité collective à produire de la performance. Ce n’est qu’à ce prix que l’on parviendra à garder française les organisations à haute valeur ajoutée qui font la croissance durable.

 

Quelle est la valeur ajoutée de Belle Aventure pour atteindre cet objectif ?

Nous sommes un réseau ressource. Notre métier consiste à offrir aux managers qui croient en la puissance de l’intelligence collective, l’accès à ce nouveau mode de management. Nous apportons une palette étendue de prestations adaptées aux différentes problématiques que peut avoir un responsable qui cherche à démultiplier son action (formation, animation de séminaire, coaching de transition, conférences, outil de collaboration, base de connaissance). Nous cherchons à créer des relations dans la durée avec des clients ou des organisations qui sont ou deviennent alors des contributeurs au réseau. L’offre réseau ressource permet d’accompagner dans la durée les équipes en apportant autant que de besoin les compétences et les méthodes pour promouvoir et mettre en place l’agilité durable. Cela engendre des collectifs puissants qui ont appris à travailler différemment.

Nous sommes là pour accompagner dans la mise en œuvre, dans le passage à l’acte.

 

Quel est l’enjeu ?

Le fonctionnement agile en chaîne de valeur est contre intuitif pour notre culture latine. Nous avons le culte de la compétence et de l’excellence individuelle. Nous critiquons en permanence les chefs et leur rémunération, mais en réalité nous nous mettons en situation de dépendance totale vis-à-vis d’eux. Si Alcatel réussit, c’est grâce à Michel Combe. Si AREVA échoue, c’est à cause d’Anne Lauvergeon. Nous ne savons pas, ou du moins nous savons moins bien que les américains, ce qui est paradoxal, générer de l’action collective et partager une vision de la performance résultante d’un travail collaboratif. L’enjeu pour BelleAventure, c’est de soutenir les managers qui partagent nos convictions et leur apporter une aide concrète dans la transition qu’ils souhaitent impulser dans leurs équipes vers un fonctionnement agile en chaine de valeur. Nous faisons partie de ceux qui ne se résolvent pas à devenir le pays que décrit Houellebecq dans « la Carte et le Territoire » c’est-à-dire un pays de service aux personnages âgés et de guide touristiques…

 

Adopter le fonctionnement en chaîne de valeur agile, c’est mobiliser chaque acteurs sur sa contribution à la valeur collective, c’est-à-dire à la pérennité de l’organisation.

Comment ça marche ?

Le premier principe, c’est de décrire l’entreprise en partant des poches de valeur que l’organisation a choisi d’exploiter. Ces poches de valeur correspondent à des opportunités de marché, c’est la raison d’être de l’organisation en tant que collectif.

Deuxième principe : chaque poche de valeur doit être incarné dans l’organisation par un défenseur, un Market Booster : le Market Booster doit connaître intimement la poche de valeur dont il est le représentant afin d’en exploiter au maximum le potentiel.

Troisième principe : mettre en face de chaque poche de valeur extérieure de l’organisation, une chaîne de valeur en interne, c’est-à-dire un ensemble de fonctions de l’organisation qui vont être mobilisées par le Market Booster pour répondre à chaque opportunité qu’il aura repéré. Pour s’organiser de manière efficace, chaque chaîne de valeur doit être coordonnée par une équipe restreinte (moins de douze personnes), dont chaque membre représente un maillon de la chaîne de valeur. On parlera de « Value Team ».

Quatrième principe : chaque Value Team est autonome et animée suivant les principes des méthodes agiles : sprints, engagement, collectif, centré résultat. Elle reçoit pleine délégation pour faire ce qu’il faut pour réussir à capter la valeur de la poche de valeur qu’elle sert.

Cinquième principe : l’architecture de l’organisation doit être adaptée pour pouvoir créer facilement ces Value Teams. Pour cela, il faut former des « communautés » au sein de l’organisation, qui correspondent aux différents maillons (ou métiers) dont la collaboration fait la valeur collective. Chacun doit donc faire partie d’une communauté pour faire valeur. Chacune s’organise par elle-même pour produire des gens capables de faire valeur pour les value teams. Chaque communauté – ou “skill team” – est animée par un “skill leader”, dont le rôle est de garantir à la fois l’excellence de chacun de ses membres mais aussi sa capacité à travailler avec les autres communautés pour obtenir un résultat collaboratif.

Sixième principe : l’organisation toute entière est apprenante : des retours d’expérience réguliers sont mis en place à tous les niveaux, permettant de valoriser les réussites et de se servir des échecs pour progresser collectivement. La structure doit apprendre évoluer en permanence pour mieux s’adapter à l’environnement (par exemple la délimitation des poches de valeur ou des communautés métiers). C’est ce qui donne une stratégie “agile” : l’organisation s’adapte par elle-même aux évolutions de son environnement (elle est donc “intelligente”).