Bernard Guirkinger
“Le Cese doit faire entendre l’expertise issue de la société civile pour servir le débat public et la réforme”
À la veille du renouvellement des membres du Conseil économique, social et environnemental le 15 novembre, Bernard Guirkinger, ancien cadre dirigeant de Suez et délégué régional du GROUPE SOS), préconise une présence plus forte de l’Institution dont il est membre, pour accompagner les réformes et contribuer à l’émergence d’un nouveau projet collectif pour notre pays.
Entretien réalisé par Sabine Renault-Sablonière
Depuis son installation en 1959 au Palais d’Iena, que mettre à l’actif du Conseil économique, social et environnemental ?
Le Cese – Conseil économique, social et environnemental – est, par vocation, une assemblée consultative et non délibérative. Mais c’est une assemblée dans laquelle les acteurs de la société civile se forgent une opinion. Ainsi, je suis convaincu que lorsque le Cese travaille sur la transition énergétique et les nouveaux modes de consommation, avec les syndicats, les milieux économiques et les environnementalistes, il fait évoluer chacune des parties prenantes – les rendant plus sensibles aux arguments des autres. Au Cese, il n’y a pas de climato sceptiques. Le Cese est un formidable lieu d’écoute et de dialogue.
La force de cette assemblée est qu’elle a été créée avant qu’on parle de « dialogue avec parties prenantes » et de « démocratie participative ». Le Cese a été de ce point de vue une assemblée d’avant-garde.
Le Cese s’exprime, et on ne le sait pas assez, sur tous les grands sujets du moment (climat, transition énergétique, nouveaux mode de production et de consommation, compétitivité du pays, construction Européenne, migrations, etc. Et très souvent il fait des recommandations qu’on ne trouve pas forcément ailleurs et qui expriment des consensus forts entre les acteurs présents au Cese.
Depuis la dernière réforme constitutionnelle la troisième assemblée de la république est paritaire et les associations de défense de l’environnement sont nombreuses à y siéger Dans la dernière mandature, le Cese a été très ouvert sur l’extérieur et de nombreuses organisations sont venues y débattre. Il faut amplifier ce souffle nouveau !
Le Cese reste « l’Assemblée du temps long » ?
Non, cela voudrait dire que l’on opposerait l’action à la vision à 20 ans. Je souhaite plutôt que le Cese soit dans les débats d’aujourd’hui, en gardant une vision prospective à moyen-terme. Mais on peut regretter que, au fil des années, cette assemblée ait perdu de sa visibilité et de son impact. Elle est même aujourd’hui contestée par certains. L’institution ne communique pas assez dans un monde dominé par les medias.
Contrairement à ce que pensent les responsables politiques, la société civile est très progressiste, plus en avance qu’il n’y parait et arrive bâtir les consensus intelligents dont notre pays a besoin. C’est le cas sur la nécessité de réformer notre pays ou sur l’urgence de signer un accord sur le climat et les émissions de gaz à effet de serre…
Les responsables politiques gagneraient à s’appuyer davantage sur ces consensus ?
Certainement ! Le problème reste que les dirigeants politiques sont trop ancrés sur le court-terme et les prochaines échéances électorales Aucun parti politique n’est capable seul de développer une vision à moyen terme … Et donc de conduire des reformes cohérentes les unes avec les autres.
Le Cese est l’outil du long-terme sur lesquels les politiques pourraient – et devraient – prendre appui. ’Ce n’est pas facile car les intérêts particuliers ou les lobbies se font entendre tôt ou tard et interviennent pour s’opposer aux réformes qui les concernent. Mais je crois que résister aux intérêts particuliers est plus facile quand l’intérêt général du pays est bien défini et fait l’objet de consensus.
Quel conseil donneriez-vous au prochain président ?
L’Institution doit s’affirmer davantage dans le débat public. Elle intègre l’intérêt général sur le long terme pour échapper à la dictature du court terme et aux positions dogmatiques. Le cese doit rester sur les sujets d’actualité… mais avec une vision prospective. Fort de cette spécificité, le Cese devrait solliciter plus d’interactions -de travaux en commun – avec les assemblées délibératives (Sénat et Assemblée nationale).
Les représentants des institutions qui siègent au Cese doivent aussi mieux le défendre en portant les travaux hors de notre hémicycle. Souvent les conseillers s’expriment sous l’étiquette de leur organisation alors qu’il serait salutaire qu’ils s’expriment au nom du Cese. Le Cese doit exister aux yeux des médias.
En avril dernier, vous avez été rapporteur avec Céline Mesquida d’un avis du Cese intitulé « Réussir la conférence Climat Paris 2015 ». Qu’attendez-vous de ce grand rendez-vous international ?
Je note une grande prise de conscience collective sur les enjeux liés aux changements climatiques. Il n’y a plus de débat. Les climato-sceptiques sont devenus inaudibles. Notre positionnement a été de montrer aux responsables politiques que la société civile prend énormément d’initiatives un peu partout dans le monde et a conscience des enjeux. On sent une exaspération de la société civile devant l’incapacité des responsables politiques à s’accorder sur le plan international afin de réduire les gaz à effet de serre. Notre avis a aussi un rôle pédagogique vis-à-vis de tous les acteurs de la société civile.
Nos recommandations portent sur :
Le fonds vert d’aide aux pays en voie de développement afin qu’ils puissent s’adapter aux changements climatiques et mettre en œuvre un programme de réduction des gaz à effet de serre A juste titre Nicolas Hulot, rappelle que le changement climatique est l’injustice suprême. Les premières victimes sont les plus pauvres et les pays en voie de développement. Alors que ce sont les pays développés qui ont émis ce stock de gaz à effet de serre qui cause le changement climatique. La promesse faite à Copenhague de doter le fonds vert de 100 milliards de dollars par à an à partir de 2020 doit être tenu.
La mise en place d’une fiscalité écologique et d’un prix Carbone. Les acteurs économiques sont de plus en plus nombreux à le réclamer.
La nécessité d’anticiper les conséquences sociales des énormes changements de mode de production et de consommation qui nous attendent. Les syndicats veulent être associés aux débats et être entendus.
En savoir +
Réussir la conférence Climat Paris 2015 (Lire le document – pdf) – Céline Mesquida, Bernard Guirkinger, Avril 2015