ActuPresse Com interviewe pour la Sidh, Anne Coldéfy, Universitaire et éditrice.
[ Interview Anne Coldéfy ] Blog Sidh-France
Sabine Renault-Sablonière
Sabine Renault-Sablonière : La guerre russo-ukrainienne aurait-elle été évitable ? Y a-t-il eu un ou des malentendus ?
Anne Coldefy :
La guerre aurait sans doute pu être évitée si :
– les autorités ukrainiennes avaient eu une autre attitude envers le Donbass, notamment en reconnaissant le droit de cette région russophone à garder sa langue ;
– l’OTAN n’avait pas été aussi présent dans la région, présence perçue comme une menace par la Russie ;
– l’Europe avait eu une politique étrangère digne de ce nom et s’était montrée moins « suiviste » des États-Unis.
S-R-S : Comment la population russe vit-elle ces événements ? Quelles solutions peut-on espérer pour mettre fin à cette guerre ?
A-C : À l’exception des régions proches de la frontière avec l’Ukraine, régulièrement bombardées, la plupart des habitants de la Fédération de Russie ne sont pas trop affectés : les « paquets » de sanctions, certes, ne leur facilitent pas la vie, mais la situation économique et sociale n’est pas du tout catastrophique.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, la plupart des Russes rêvent d’un monde sans guerre. Au bout de deux ans de conflit avec l’Ukraine, ils aimeraient que cela s’arrête rapidement. Il y a des gens opposés à cette guerre, mais d’autres (en majorité, semble-t-il) l’approuvent globalement. L’ennemi pour eux est moins l’Ukraine que l’OTAN.
En ce qui concerne les solutions, il faudrait que l’Occident et l’Ukraine aient vraiment envie que cela s’arrête, ce qui ne semble pas être le cas.
S-R-S : Après l’effondrement de l’Union soviétique, l’Occident s’est étonné que les dissidents ne jouent pas de rôle dans la vie politique. La situation se reproduit aujourd’hui. On ne voit pas de personnalités émerger. Est-ce dû à la nature du régime ? Comment peut-on anticiper une relève à Vladimir Poutine ? Comment maintenir un lien entre la France et la Russie ?
A-C : L’Occident raisonne selon des critères qui lui appartiennent en propre, ce qui le conduit à souvent se tromper. Les dissidents ont toujours eu un rôle plus moral que politique au sens où nous l’entendons. Il faut savoir que, dans l’intelligentsia soviétique, la politique, de même que toute implication dans les sphères du pouvoir, était considérée avec répugnance. Un intellectuel digne de ce nom évitait de s’y engager.
L’URSS a implosé sans que la population y soit préparée. Les opposants ne représentaient qu’une infime minorité et, de fait, n’avaient pas grand-chose de concret à proposer. Alexandre Soljénitsyne fait ici figure d’exception. Lui, avait un projet pour la Russie, mais sans doute trop exigeant et idéaliste pour séduire un pays qui se trouvait brusquement confronté à un véritable chaos. Par ailleurs – et c’est encore le cas aujourd’hui – beaucoup considéraient le grand écrivain comme un « traître ».
Vladimir Poutine a, aujourd’hui encore, une bonne cote de popularité. Pour ceux qui ont connu les années 1990, il est celui qui a refait de la Russie une « puissance », mettant fin par là même à un très fort sentiment d’humiliation. Pour l’instant, contrairement à ce qu’affirment régulièrement les médias occidentaux qui le déclarent mort ou peu s’en faut, il paraît en bonne santé. Je ne doute pas qu’il se soucie de sa succession pour… plus tard. J’ajouterai qu’il pourrait aujourd’hui y avoir bien pire à la tête de la Russie.
Il est clair que les autorités françaises ne veulent pas, actuellement, maintenir des liens avec la Russie, alors même que la France aurait eu un rôle important à jouer. Donc, rien n’est possible. J’ai le sentiment que seuls les liens culturels pourraient avoir un minimum d’efficacité sur le très long terme.
Photographie : Anne Coldéfy lors de la remise du Prix Russophonie 2020 pour la meilleure traduction : « Manaraga » de Vladimir Sorokine
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